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mercredi 26 février 2014

CARAMEL

CARAMEL

Il était une fois, il y a fort, fort longtemps, dans la contrée la plus reculée des forêts du Grand Nord, un petit village du nom de Pique-ciel.
On l'appelait ainsi, car les toits pointus, revêtus par de grandes ardoises s'élançaient vers les nuages.
Les habitants y vivaient paisiblement, depuis des générations et s'étaient acclimatés aux grands froids. La petite bourgade, située dans la plaine en bordure d'un petit cours d'eau, respirait le calme et la tranquillité. Chacun y avait sa place et son métier, d'ailleurs rien n'avait changé depuis des lustres. Chaque famille perpétuait le métier de son père ou de sa mère, en gardant et communiquant les précieux savoir-faire.
Tous portaient un nom de famille en rapport avec leur métier. Les Tapefor étaient mineurs, les Bélant gardiens et éleveurs de moutons, les Croutons boulangers. Plus d'une centaine de familles vivaient en harmonie. Rien ne changeait dans cette contrée reculée, exepté les saisons.
Depuis quatre ou cinq ans, l'hiver revenait plus puissant, plus mordant. Cette année, il s'installa alors qu'on ne l'attendait pas. Habituellement, en cette période, les pâturages sont verts, et encore peuplés de moutons et de vaches, mais la neige a fait son apparition. Les jours qui suivirent, les premières gelées arrivèrent ainsi que les vents du Grand Nord. Dans ces conditions, plus question de se rendre dans les villes éloignées du sud, ni de ne voir une quelconque visite. La seule petite route, qui traverse la montagne, est désormais impraticable jusqu'au printemps. Certes, les habitants de Pique-ciel sont rompus à ces longs hivers, mais les réserves de nourriture pour le bétail diminuent. La famille Legrain se plaint des maigres récoltes. Les Poudres blanches doivent augmenter le prix de la farine, les Crouton celui du pain. Les hivers sont de plus en plus difficiles pour tout le monde, et certains pensent à partir un jour ou l'autre, si cela venait à continuer ainsi.
Une famille est un peu à l'écart des autres, les Fendbois. Ils vivent dans la partie surplombant le village, au plus près de la forêt des grands pins. Le père est un homme grand, musclé et puissant. Bucheron comme son père, il a hérité de la force des ses ancêtres. On dit, dans le village qu'il a la force d'un ours, et qu'il peut faire tomber un arbre d'un seul coup de hache. Il est surnommé par tous, le Castor. Courageux et travailleur il prend grand soin de sa famille. Son épouse Naïdila se charge de la cueillette de baies sauvages à la bonne saison. Mais elle a une tâche bien plus importante; celle de gérer le grand chalet de bois et sa nombreuse famille. Castor et Naïdila, sont parents de quatre filles et un garçon. La première âgée de quinze printemps s'appelle Talicia, la seconde Malaurine a treize ans, la troisième au doux nom de Tamyline vient de fêter ses 11 ans et la dernière fille Taléana, coquine au possible arbore fièrement ses 7 ans, le petit dernier, tant attendu par Carlos un fils s'appelle Tadame. Il porte le prénom de son grand-père, nom qui sonnait comme l'écho dans la montagne à chaque fois qu'il frappait le tronc, tadam tadam !. Le petit Tadame aura cinq ans dans quelques semaines.
Tout aurait pu se passer pour le mieux pour cette belle-famille, mais les derniers hivers rigoureux ont épuisé le père de famille. Alors qu'il pensait vendre plus de bois, et pouvoir améliorer le quotidien de ses proches, il en fut tout autrement. Les villageois, souffrant tous de ces longues périodes hivernales, et d'un manque cruel d'argent, commencèrent à couper leur bois eux-mêmes. Castor fit un effort et baissa les prix, encore et encore, au point de devoir travailler doublement pour un maigre revenu. Cette année, le manteau blanc est là, il alourdit les branches, encombre les chemins, humidifie le bois. Castor redouble d'efforts, rentre tard le soir et se lève à l'aube, mais rien n'y fait. C'est presque peine perdue, car le peu de bois qu'il abat et fend ne se vend pas. Son épouse s'inquiète pour lui et pour sa famille.
Noël approche à grands pas, et les provisions diminuent dans la maisonnée. La maitresse de maison tente de dissimuler la chose, elle allonge les soupes y ajoutant une louche supplémentaire d'eau chaude. Les enfants se rendent bien compte de la situation, mais ils ne se plaignent pas. Seul le petit Tadame fait entendre sa voix lors du souper:
— Mam ! J'en ai marre de la soupe. En plus elle n’est pas bonne !
— Allons Tadame, c'est la même que ce midi, elle est très bonne !
— Nan ! Ne sachant quoi répondre elle lance pour changer de sujet:
— Noël sera bientôt là et si nous faisions le sapin ce soir ? L'enthousiasme que déclenche cette annonce est immense, cris de joie, regards éclairés.
— Mais, le sapin ? Nous n'avons pas de sapin ? Déclare Tamyline.
— Pas d'inquiétude les enfants, je l'ai coupé ce matin, je l'ai laissé dehors près de la porte ! Castor a une voix rauque ce soir. Il semble lointain ou alors tout simplement fatigué.
La soirée est malgré la situation joyeuse, toute la famille est admirative devant la beauté de ce sapin, grand et d'un vert foncé. Tadame n'en revient pas, surtout quand son père lui annonce qu'il s'agit de la variété des rois de la forêt.
Tout le monde s'attèle à placer les décorations, excepté le chef de famille qui fatigué s'excuse et part se coucher.
— Maman, il a quoi papa ? Demande le petit dernier
— Rien Tadame, il est fatigué c'est tout !
— Ha ! Il ne joue plus avec nous comme avant, je n'ai pas été méchant pourtant !
La maman embarrassée change de sujet :
— Tadame ? Au fait tu voudrais quoi pour Noël ? As-tu fait une demande au père Noël ?
— Oh oui Mam ! J'ai demandé un chien, tout comme celui qui coure après les moutons !
— Un chien ? Répond-elle, étonnée.
— Oui , il est gentil, tu sais.
— Je n'en doute pas, mais tu sais en ce moment, nous avons un peu de mal et un chien c'est une bouche de plus à nourrir, tu ne voudrais pas changer ton souhait pour un autre ?
Le petit garçon baisse la tête, et tout en faisant une grimace grommèle tristement:
— Très bien, je vais réfléchir à autre chose.
Les enfants ce soir-là se couchent heureux, la maison est décorée, le sapin est le plus haut de tous ceux jamais faits.
Le matin suivant le père ne se lève pas. Il est brulant de fièvre, et a peine à respirer. Naïdila a l'habitude de s'occuper des enfants, mais c'est la première fois qu'elle voit son mari ainsi.
Il respire difficilement et tremble beaucoup. Au petit matin, elle rassure les enfants et les envoie à l'école. Toute la journée elle reste à son chevet et le fait boire. La nuit est longue, entrecoupée de réveils en sursaut, de cauchemars, et de délires. L'épouse inquiète et décidée, demain matin elle ira au village voir l'apothicaire, Monsieur Pilon.
Elle laisse les enfants à la maison, donne ses directives à la fille ainée, et descend seule au village. Expliquant l'état de santé de son époux au pharmacien, ce dernier lui confie qu'il est inquiet au vu des symptômes. Pendant plus d'une heure, il prépare une médication faite de plantes diverses:
— Voilà Naïdila, faites lui prendre ceci avec un pot d'eau chaude deux fois par jour, Castor devrait se sentir mieux dans un ou deux jours. Si ce n'est pas le cas, envoyez-moi votre fille ainée m'avertir et je monterai le voir.
— Merci beaucoup Monsieur Pilon, combien vous dois-je ?
— Cela me chiffonne de vous demander cela, mais je traverse une période difficile, je sais que vous-même n'êtes pas bien riche, mais les produits sont rares et couteux.
— Je sais, je comprends !
— Cela fait dix couronnes. Dit-il presque honteux
— Dix couronnes ! Je n'en ai plus que neuf, ce sont nos dernières pièces, je vous donnerai la dernière un peu plus tard, cela vous convient ? Elle est un peu honteuse, mais reste digne.
— Non cela ira, neuf couronnes, très bien. Filez et prenez soin de notre bucheron.
Les jours qui suivent sont difficiles, le médicament ne semble pas faire effet, la fièvre est constante et son état ne s'améliore pas. Tout le monde est inquiet, cela se ressent dans la vie de la maison où un calme inhabituel règne. Les filles tentent de faire leur maximum pour aider leur mère, et occupe comme elles peuvent leur petit frère qui réclame la présence de ses parents. Les placards de nourriture sont presque vides et Naïdila se décide à tuer leur dernière poule, qui de toute façon par ce froid ne pond plus. Cela améliorera un peu l'ordinaire, donnera meilleur goût au bouillon et un peu de force à son homme. Castor ne mange presque pas, et lui donner un bol de soupe relève d'une patiente infinie. Inquiète, elle demande à Talicia et Tamyline d'aller chercher le pharmacien.
Quelques heures plus tard, ils arrivent tous trois et se dirigent directement dans la chambre du père. Monsieur Pilon n'est malheureusement pas médecin, mais ses longues études d'herboriste lui permettent de faire office de soigneur local. Aucun médecin n'a jamais voulu s'installer dans cette contrée éloignée, et tout le monde le regrette. Il chasse les enfants, arrivés en groupe et agglutinés dans son dos, et ausculte son patient. Les constatations qu'il fait ne sont pas réjouissantes.
La fièvre est à son maximum, les tremblements sont un signe. Le bucheron ne répond pas aux questions et ses réflex sont lents. Le fond de l'œil est terne, les lèvres sèches. Il tire Naïdila par le bras et la conduit dans la pièce de vie. À voix basse, il l'informe que son époux est au plus mal et que la poudre de mandragore, cette racine aux pouvoirs bienfaiteurs peuvent le remettre sur pied. Malheureusement, cette médication est très chère, il en possède un petit sachet qu'il garde précieusement, mais qu'il ne peut pas offrir. Cent trente couronnes, est le prix qu'il l'a acheté et à ce prix il ne gagne rien. Gentiment, il offre un peu d'herbe pour apaiser la fièvre, mais sans conviction qu'elle fonctionne.
Malgré leur discrétion en discutant, les enfants curieux ont entendu la conversation. Monsieur Pilon sorti, ils approchent de leur mère, tous sont en larmes, Taléana la plus jeune demande:
— Est-ce que papa va mourir ? Tout en la serrant contre son tablier, la gorge nouée la mère retenant ses larmes et du plus calmement possible répond:
— Mais, non ma puce, ton papa est fort.
La soirée s'étiole lentement, le ciel d'un noir profond annonce un nouveau matin de glace. Naïdila ne dort pas cette nuit-là et au petit matin rassemble ses enfants:
— Nous allons aller au marché demain, nous rassemblerons tout ce que nous pourrons vendre, vêtements, casseroles, couvertures, enfin tout ce dont nous pouvons nous passer et nous chargerons l'âne. Nous vendrons l'âne aussi et avec cet argent nous pourrons acheter le médicament pour votre père. Talicia, tu resteras ici surveiller ton frère et prendre soin de ton père en mon absence. Surtout maintient bien le feu pour qu'il fasse toujours chaud dans la maison. Le bois ne manque pas, nous en rentrerons tout à l'heure.
Les enfants sont inquiets, cela se voit, le petit dernier demande:
— Maman, moi je peux donner des jouets, cela va être Noël, cela se vendra bien. Papa m'avait fait un chariot en bois je suis sure tu peux avoir beaucoup de couronnes avec !
— C'est gentil Tadame, il t'en refera un quand il ira mieux, va le chercher ! Avant de partir il ajoute:
— Ah oui maman, j'ai réfléchi, je ne veux plus le chien pour Noël, juste un caramel ce serait bien, je l'ai écrit au père Noël, mais j'ai demandé qu'il guérisse mon papa en premier.
La maman est au bord des larmes et pour les dissimuler lui demande d'aller chercher ce qu'il veut vendre. La journée terminée quatre gros sacs de jutes sont remplis, tout est prêt pour charger demain l'animal.
Le lendemain, la route est longue jusqu'au marché, l'âne est lourdement chargé, mais il est fort. Naïdila a dans l'idée de vendre également le reste de foin de l'étable que l'acquéreur pourra venir chercher. Toute la nuit, elle a fait ses calculs, et si tout se passe bien elle devrait tirer tout juste l'argent nécessaire. Le jour du marché et le jour des achats, tout le village s'y retrouve sous le grand chapiteau près du lavoir, c'est froid et venté, mais au sec.
La venue de la petite famille et de son âne est une surprise, Naïdila et les enfants racontent leur histoire et la raison de leur vente. Certains se forcent un peu à acheter, d'autres tout aussi pauvres, ne peuvent rien faire. La nouvelle de l'état de santé de Castor a déjà fait le tour du village et tout le monde à un petit mot gentil. Le maire, achète le reste de foin au prix fort et donne 100 couronnes, le pharmacien achète l'âne un bon prix. Il lui servira pour ses tournées et ses cueillettes un peu longues parfois. Le soleil commence à montrer des signes de fatigue, le marché va fermer.
Quelques objets ne sont pas vendus, un gros sac. Monsieur Pilon propose à la famille de le garder et de le ramener lors d'une prochaine visite avec l'âne.
En sa compagnie ils se dirigent à l'échoppe:
— C'est très courageux ce que vous faites pour votre mari et papa.
— Merci, voyons combien nous avons récolté ! Naïdila renverse la bourse de cuir sur le bas flanc du pharmacien. En quelques secondes le compte est fait: sept cent quatre-vingt-dix-sept couronnes. C'est bien loin des neuf cent cinquante. L'embarras et la déception se lisent sur les visages. La petite Taléana qui a mis tout son cœur dans cette vente a les larmes aux yeux, ses poupées de chiffons son berceau de bois et un livre ont été vendus. Et c'était plein d'espoir qu'elle attendait ce moment. C'est l'apothicaire qui brise le silence:
— Voyons ce n'est pas si mal, voici ce que je vous propose, je vous donne ce médicament pour cette somme et quand votre papa ira mieux il me fournira du bois pour la différence, cela fera certainement deux saisons à ce prix, mais je lui fais confiance, il va se remettre. Et puis c'est Noël dans quelques jours.
Les cris de joies des enfants sont stridents, tous après avoir chaleureusement remercié le pharmacien quittent d'un pas rapide l'endroit pour regagner le chalet à plus d'une demi-heure de marche.
La fille ainée à l'annonce de la réussite éclate en sanglots. La poudre de mandragore doit être mélangée à de l'eau chaude et donnée plusieurs fois par jour à leur père. Il y a assez de produits pour une semaine et le traitement doit être pris jusqu'au bout. C'est, plein d'espoir que les premières cuillerées sont données. La nuit de leur père reste agitée, pareille aux autres. Au petit matin, Naïdila administre à nouveau avec patience le précieux breuvage. Après une première journée, aucune amélioration n'est visible. Elle si joyeuse d'habitude, même dans la difficulté a les yeux cernés, rougis par les nuits à sangloter en silence. Ce n'est malheureusement pas son unique problème, nourrir la famille en est un autre. La maigre poule a certes amélioré l'ordinaire, mais le garde manger se vide à vue d'œil. Il reste peut de farine, peut-être pour faire cinq ou six pains pas plus.
Lors du passage au marché l'un des acquéreurs a payé avec quelques carottes et un sac de pommes, qui eux n'ont pas été vendus. Cela permettra de meubler un peu, il reste un morceau de viande fumée séchée, qui lui non plus ne tiendra pas bien longtemps. Le jour suivant, contre toute attente, alors que tout le monde est à table, lapant sans mot dire la soupe épicée, un bruit parvient de la chambre:
— Oh oh ! Il y a quelqu'un ?
Le père venait de reprendre ses esprits. Tous accourent à son chevet, il n'a certes pas bonne mine, il a toujours de la fièvre, mais il parle et réclame de l'eau. Quelle joie immense dans la maison, tout le monde s'embrasse en pleurant sous les yeux écarquillés du paternel. Devant cet événement tant attendu, la vie reprend ses droits dans la maison. Les enfants sortent enfin et se déchirent dans une bataille de boules de neige improvisée. Castor, n'est pas sorti d'affaire, mais il va mieux et c'est bon signe. La nuit et plus calme et sa température semble baisser. Le lendemain, il avale une petite tranche de pain avec un morceau de viande séchée. Tout le monde reprend espoir. L'esprit de Noël peut reprendre sa place. Naïdila pour fêter dignement le réveillon demande à sa fille aînée de descendre au village et de demander crédit à l'épicier de quelques produits de base, œufs, lait, et quelques légumes. Elle n'a jamais fait crédit, mais elle sait qu'en principe il refuse formellement.
Talicia s'y rend avec sa sœur, et rentre une heure plus tard. Malheureusement, monsieur Trouvetou également dans la difficulté n'a pas pu accéder à la demande de la famille. Malgré tout il a consenti à fournir six œufs, un fromage un peu vermoulu et deux kilos de pomme de terre en germination.
La fièvre du bucheron est tombée, il se lève difficilement, mais fait quelques pas dans la maison. De manière évidente, on peut voir qu'il est perturbé et se sent responsable de ce qui arrive à sa famille. Mais, loin de vouloir baisser les bras, il fait des plans sur l'avenir et remercie tendrement tous ses enfants et son épouse. Demain nous serons la veille du réveillon et les cœurs doivent être joyeux. Il reste des châtaignes que les vers n'ont pas mangées, ils grilleront à la cheminée ce soir.
Le lendemain, une lourde neige se met à tomber, chargée d'eau elle fléchit la cime des sapins. Tandis que tout le monde est à table, attendant avec impatience une omelette au lait et champignons séchés, on frappe lourdement à la porte. C'est le pharmacien, il est chargé du sac de jute qu'il pose en entrant :
— Bonjour, les Fendbois ! Ah, mais quelle merveilleuse surprise, Castor tu es sur pieds, que je suis heureux. Le père se lève doucement et enserre le pharmacien dans ses bras. Chaleureusement il le remercie pour ses bons soins et sa gentillesse.
— Ce n'est rien de ça Castor ! Je n'ai fait ça, que par intérêt, nous avons besoin d'un bucheron au village.
Le pharmacien se joint à la tablée et partage notre repas. La discussion est joyeuse et le bucheron semble nettement mieux. Monsieur Pilon questionne :
— Tu n'as pas l'intention de te remettre au travail tout de suite, j'espère, il faut que tu te remettes d'abord sur pied sinon la prochaine fois...
— Je n'ai pas trop le choix Pilon ! Regarde ma famille, ils ont fait de gros sacrifices, et nous n'avons presque plus rien à manger, mon épouse t'a fait crédit ainsi qu'à l'épicier et nous ne pouvons nous nourrir que de châtaignes !
— Mais tu as à manger, d'ailleurs tu m'invites à ta table.
— Oui et tu y seras toujours le bienvenu, mais d'ici quelques jours !
— Mais non ! Le pharmacien se lève, va chercher le sac et le pose sur la table, il en dénoue le sommet et l'ouvre. Il est rempli de victuailles, des pommes, des haricots, de la viande, du pain, deux grosses mottes de sel, de la farine, des kilos et des kilos de nourriture.
— Ceci est de la part des villageois, ils ont gardé toutes les babioles qui n'avaient pas été vendues et ont offert de quoi vous nourrir plusieurs semaines. Ils ne savaient pas si tu allais mieux ou pas, mais ils savaient que ta famille était dans le besoin. Les cris de joie des enfants font écho dans la pièce, ils sautillent sur place. L'apothicaire reprend :
— Et pour ton âne, c'est une vraie tête de mule, il ne veut pas m'obéir, il me coute plus cher en carottes qu'autre chose, je l'ai mis dans ta grange, tu peux le garder il te sera plus utile qu'à moi !
La maîtresse de maison enserre à son tour le bienfaiteur dans ses bras:
— Vous restez avec nous pour le réveillon ?
— Eh, non ! J'ai aussi de la famille qui m'attend, mais mes pensées seront avec vous ! Il se lève enfile son lourd manteau de peau et son chapeau et sort en lançant:
— Joyeux Noël !
Le bucheron accompagne monsieur Pilon sur le pas-de-porte, ils s'y échangent quelques mots se serrent la main et il disparaît sous la neige qui tombe toujours.
L'après-midi est joyeuse, chacun aide à ranger les victuailles. Le réveillon peut avoir lieu. Malgré l'abondance des vivres, le repas reste simple, cette mésaventure nous a appris à faire un peu plus attention. Après quelques chants de Noël au pied du sapin tout le monde part se coucher. Les chaussettes sont pendues près de la cheminée et du sapin.
Le matin est lumineux, les parents sont les premiers levés. Le bucheron est en forme et se sent beaucoup mieux, il a récupéré son âne, la maison est chauffée, il est en bonne santé, le moral est bon. Tous deux vont réveiller les enfants et les convient à venir au sapin. Debout, devant l'arbre le père s'adresse à eux:
— Mes enfants, mes amours, vous avez été merveilleux pendant cette épreuve et je tiens à vous remercier et à vous dire combien je suis fier de vous ! Mais en ces temps difficiles, même le père Noël a des soucis. Le plus beau cadeau qu'il nous a fait cette année c'est de pouvoir partager ce moment ensemble. Tous le regardent les yeux pleins d'amour, si heureux que leur père soit sorti d'affaire. Doucement pour ne pas le faire tomber, ils se serrent contre lui.
— Mais, j'ai cru entendre qu'un petit garnement avait demandé ça au père Noël, n'est-ce pas ?
— Oui papa, et un caramel ! Tout le monde rit, le papa poursuit:
— Eh bien, je crois qu'il y a tout de même un sac au pied de l'arbre avec ton nom. Le père se pousse et découvre un sac en toile de jute fermé par un petit nœud rouge. Excité, le petit se rue à terre et frénétiquement ouvre le paquet en criant :
— C'est un gros paquet de caramel !
— À cet instant, le nœud défait, une petite truffe noire fait son apparition. La tête d'un petit chien beige se tortille, délivré, il semble vouloir sortir au plus vite et jouer.
Les cris du petit garçon et de ses sœurs sont un mélange de joie et de surprise. Le calme revenu, la maman ajoute:
— Il s'appelle CARAMEL !

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