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mercredi 19 mars 2014

Machin partie 2


La cavale

Sans frissonner, je traverse le tunnel, je n’aurai plus jamais peur du noir, je le sais maintenant. Dans une heure ou deux, le mari va s’inquiéter, il m’a vu et dira à la Police que j’ai poussé sa fille, puis disparu avec sa femme.
Ce soir, mes parents se décideront à alerter la Police pour signaler ma disparition. La lumière m’assaille, je m’étais habitué à la pénombre. Rapidement, je compte l’argent récupéré dans le sac, mille deux cents euros, pas mal. Cela me permettra de parer au plus urgent.
Mon cerveau est en ébullition, il faut que je réagisse vite et que je dresse un plan. J’ai annoncé que je me réfugierai chez ma tante à Orléans, je n’ai pas de famille là-bas. D’ailleurs je n’ai pas de famille. Disons qu’à partir d’aujourd’hui, je n’en ai plus.
Je marche en direction de la gare, autant m’y rendre. J’accélère le pas. Hors de question de traîner dans cette ville, il faut que je trouve un endroit plus grand pour passer incognito, ici on aura vite fait de me reconnaître et de me retrouver.
Une idée émerge doucement. Je me dirige au guichet de la gare.
            — Bonjour, je veux un billet pour Orléans. Volontairement, j’évite d’être poli. La femme se trouvant derrière l’hygiaphone lève la tête. Hésite un instant, me dévisage et m’interroge :
            — Ta mère ne t’a jamais appris la politesse ?
            — J’ai pas de mère, je suis orphelin, et je veux un billet pour Orléans. Je dévisage cette dame d’une cinquantaine d’années. Étrangement, je n’éprouve pas de crainte ou de peur.  Je sais ce que je fais, un peu comme si je ne pouvais rien changer. Étonnée, elle reprend :
            — Tu as de l’argent au moins ? Et où sont tes parents ?
Je sors volontairement, une partie de la liasse de billets :
            — Alors combien c’est ? Je viens de vous dire je suis orphelin.
Elle semble décontenancée devant mon manque total d’éducation et ma détermination.
            — C’est dix-sept euros, le départ est dans vingt minutes quai deux.
Je paye. Me rendant la monnaie tout en glissant le billet, je la fixe et lui lance effrontément :
            — Tu vois quand tu veux. Sans me retourner, je me dirige vers les quais et poinçonne le ticket.
L’endroit est en plein courant d’air. Quelques personnes patientent à ma droite. J’ai encore un bon quart d’heure devant moi, je retourne dans le hall. À cette heure peu de monde, la plupart des travailleurs sont déjà partis. Une petite boutique élit domicile dans la gare. Quelques journaux, des gadgets, boissons et sandwiches y sont en vente. Le bon moment pour acheter quelque chose à grignoter et parfaire mon plan.
Je me dirige vers le comptoir vitré :
            — Un sandwich jambon et une bière !
Un vieil homme se retourne et me jauge :
            — Dis donc toi, on ne t’a jamais appris à dire bonjour et s’il vous plait ! Quelle jeunesse !
            — Si, mais ça sert à rien ! Vous voulez me les vendre ou pas ? Sinon pas de problème je vais en face de la gare, il y a une boulangerie !
L’homme se saisit d’un pain et l’enfourne dans un sac en papier tout en se parlant à lui-même :
            — Incroyable, je n’ai jamais vu ça ! Il est temps que je prenne ma retraite, je te le dis. Il saisit une canette de bière, puis se ravise et la repose :
            — Pour la bière, tu es trop jeune, reviens dans cinq ans !
Je saisis l’occasion au rebond :
            — Dis grand-père ! Tu as quel âge ? Cinquante, cinquante-cinq ! Tu es trop jeune pour mourir tu ne penses pas ? Pourtant ça pourrait t’arriver ! Laisse-moi boire ma bière. En plus je te donnerai un pourboire.
L’homme me toise par-dessus ses lunettes. Il hésite, reprend la bouteille et la place dans le paquet.
            — Après tout ! Cela fait six euros, dit-il en grimaçant.
Incroyable, de nouveau l’agressivité que je déploie fonctionne. Je paye, et retourne sur le quai. Après un court instant, le chef de gare se présente, signe que le train arrive en gare.
Je me positionne à quelques mètres de lui, il ne prête pas attention à moi. La locomotive s’approche à petite vitesse. Volontairement je m’approche du bord du quai, encore et encore, pour ne plus être qu’à quelques centimètres de la voie. Ce que j’espérais se produit,  le contrôleur me saisit par le bras et me tire brusquement en arrière :
            — Tu n’es pas fou ! Tu as envie de finir sous les roues ? Tiens-toi tranquille en retrait et attends que les portes s’ouvrent.
Je ne réponds pas, et me place à bonne distance. Parfait, il garde un œil sur moi. Les portes s’ouvrent, je ne bouge pas. L’homme au képi se tourne vers moi et m’invite d’un geste à grimper les marches. Je sors mon billet et lui tends :
            — Non pas besoin, quelqu’un le vérifiera certainement dans le wagon, allez grimpe !
J’obéis et reste dans le sas du wagon. Je patiente quelques secondes et passe la tête à l’extérieur. Il s’est déplacé de quelques mètres et discute maintenant avec un couple. J’en profite pour rapidement redescendre. Il est dos à moi, c’est parfait. Je cours le long du quai jusqu’à dépasser la locomotive. Un rapide dernier coup d’œil , il ne s’est pas retourné. Je coupe la voie, sans même vérifier et traverse les deux voies. Rapidement je grimpe sur le parapet. Plusieurs personnes attendent, une femme me regarde avec une moue réprobatrice, mais ne me fait pas de remarque. Je reprends un pas normal et me place derrière un tableau d’affichage. Je n’ai plus qu’à attendre le premier train et à m’y engouffrer. Je ne connais pas la destination, mais peu importe.
Tout s’est déroulé comme je l’espérais ; la guichetière se souviendra de moi, le marchand de l’échoppe et le chef de gare également. Si personne ne note ma présence dans le train qui pointe le bout de son nez, j’aurais brouillé les pistes. On me cherchera sur Orléans et cela me laissera un peu de temps pour aviser.
Je décide de suivre un couple avec un enfant alors qu’ils montent dans un wagon. Ils sont d’âges respectables et je peux facilement passer pour leur fils. Je me place assez loin pour ne pas les gêner, mais assez près pour que l’on puisse imaginer que je suis avec eux. Ils s’installent tous les trois à une table dont les sièges sont en vis-à-vis. Je m’approche :
            — Excusez-moi ! Cela vous dérange si je m’assois avec vous ? Ma mère m’a dit de rester avec un groupe jusqu’à ce que mon oncle me récupère à la gare.
L’homme regarde son épouse, comme attendant un signe de sa part, devant l’absence de réaction il me demande :
            — Tu es tout seul ?
            — Oui, mais ce n’est pas la première fois. Un coup de sifflet retentit, les portes du train se ferment.
            — Nous allons jusque Lille, ensuite tu seras seul, précise-t-il en me montrant le siège face à son fils. Le train tressaille et se met en mouvement. Alors que je suis sensé, m’assoir, je me rue vers le sas en criant :
            — Maman, le billet ! Oh non ! Maman ! Je colle mon visage contre la vitre de la porte. Je reste ainsi sans bouger un instant, attendant une quelconque réaction de leur part, qui ne vient pas. Mon plan ne fonctionne qu’à moitié. Il faut que je devienne plus persuasif. Doucement, dans un rythme cadencé, je frappe la porte de métal avec le pied. Dix fois, vingt fois. Toujours aucune réaction, je garde le front collé sur le verre froid. J’amplifie les coups afin que le son résonne un peu plus. Avec la même cadence, j’annonce :
            — Maman ! BAM !
            — Maman ! BAM !
— Maman ! BAM !
— Maman ! BAM !
Une main se pose enfin sur mon épaule.
       Arrête, ce n’est pas si grave, nous expliquerons au contrôleur que ta maman a oublié de te donner le billet. Allez, viens t’assoir avec nous ! La voix douce de cette femme me réjouit. Elle vient à son tour de tomber dans le piège. Docilement, regardant mes chaussures je la suis, elle me tient la main.
Pendant de longues minutes, je reste assis tête basse. Le train me berce un peu, j’en profite pour mettre en place, mes idées. Je n’éprouve aucune crainte, mon avenir est tracé, j’en suis certain.
            — Billets, s’il vous plait !
Les problèmes s’annoncent, j’espère que mon stratagème aura servi à quelque chose. Avant même que je ne m’explique, c’est le couple qui intervient :
            — Voici nos billets, mais pour ce garçon, il y a un petit souci ! Les portes se sont fermées quand il s’est rendu compte que sa mère se trouvant sur le quai avait oublié de lui donner son ticket.
            — Ce jeune homme est avec vous ? Interroge l’homme en gris.
            — Non, il nous a demandé s’il pouvait se mettre avec nous, car il voyage seul.
Il se tourne vers moi :
            — Quelle est ta destination, petit ?
            — Je descends à Lille, mon oncle m’attend là-bas, ma mère doit se faire opérer de quelque chose de grave et pendant son séjour à l’hôpital je vais vivre avec lui.
La gêne s’installe de manière évidente chez cet homme, hésitant, il poursuit :
            — Ha ! Euh, as-tu une pièce d’identité à me présenter ? La dame intervient :
            — Vous n’allez pas le verbaliser tout de même ! Je peux payer si vous voulez quel est le prix du billet ? Je ne dis rien, baisse la tête et place les mains entre mes cuisses, dans une position de prière.
            — Ce n’est pas la question, je me dois de vérifier son identité, il est peut-être en fugue ? Je dois transmettre son identité à la police, afin qu’il vérifie. Voyant la tournure que prennent les choses, je me décide :
            — Monsieur, ma mère tenait mes papiers quand je suis monté dans le train, mon billet, ma carte d’identité et même une lettre pour mon oncle. Mais je peux vous donner mon nom. Je m’appelle… Il m’interrompt :
            — Madame, vous avez vu sa mère sur le quai ? Elle hésite un court instant :
            — Oui bien entendu, elle était sur le quai, oui je l’ai vu.
        — OK ! C’est bon pour cette fois, reste bien sagement assis ici jusque Lille, je rencontrerai ton oncle avec toi. Pour être certain que rien ne t’arrive. Je lui adresse un sourire et le remercie :
            — Merci, je ne bougerai pas et vous attendrez.
            — Très bien, je vous souhaite un bon voyage, ajoute-t-il en regardant le couple.
Le silence s’installe. Elle vient de mentir pour m’éviter une amende, elle y pense certainement. Lui doit se demander si elle a vraiment vu ma mère. Cette idée de maladie est un coup de génie. Je réalise que les gens sont vraiment naïfs.

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